Pourquoi les psychologues boycottent-ils le dispositif de remboursement
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Lors de la clôture des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie du mois de septembre, le président de la République a annoncé pour janvier 2022 la généralisation des dispositifs de remboursement par la Sécurité Sociale des entretiens de psychologues, qui étaient en expérimentation sous différents formats depuis plusieurs années.

Pourtant, nous ne sommes pas satisfaits des mesures proposées, et appelons nos confrères au boycott. Pourquoi ?

Attention : Le dispositif a évolué à plusieurs reprises depuis la rédaction de cet article, dont la 1e section n’est plus forcément à jour. Le reste de l’article (Que paye le prix de votre entretien ? et Que proposons-nous à la place ?) reste pertinent !

Quel est le dispositif proposé ?

Accrochez-vous !

Vous passez par un médecin généraliste. Emmanuel Macron a mentionné la nécessité pour le médecin de vous accorder une ordonnance pour que vous puissiez bénéficier du remboursement. Par la suite, le ministre de la santé Olivier Véran a plutôt parlé d’un « adressage », qui correspondrait au fait que le médecin vous conseille d’aller voir un psychologue. A ce jour, nous ne savons donc pas si votre passage par un médecin sera obligatoire ou non.
Cela étant dit, notons plusieurs choses :
• Le psychologue, n’étant pas inscrit au Code de la Santé Publique, n’est pas une profession paramédicale. Il ne devrait donc pas être soumis à l’autorité du médecin, y compris en termes de prescription (ex: les kinésithérapeutes).
•  De très nombreux patients ne souhaitent pas que leur médecin traitant soit au courant de leur suivi psychologique. Par ailleurs, certains patients ayant déjà bénéficié des expérimentations du dispositif rapportent s’être sentis mal à l’aise lors de cette consultation, et avoir eu le sentiment de devoir « justifier » leur besoin psychologique auprès du médecin.
• Nos médecins généralistes ne sont pas formés à la psychologie. Déjà surchargés de travail, il serait injuste de leur imposer une vague de consultations supplémentaires destinées uniquement à distribuer des prescriptions, ainsi qu’une formation continue supplémentaire pour se former à la détection et l’identification de la souffrance psychologique.
• Il n’a pas été précisé si le remboursement était possible pour tous les types de difficultés, seulement l’âge (à partir de 3 ans). Lors des dispositifs d’expérimentation, le remboursement était limité aux « troubles anxio-dépressifs d’intensité faible à modérée ». Nous ne savons pas si cela sera toujours le cas, ou si le dispositif sera réellement généralisé.

– Le médecin généraliste vous prescrit une séance de « bilan » auprès d’un psychologue qui a accepté de se conventionner. Son montant est de 40€, sans dépassement d’honoraires autorisé. Vous n’avez pas à avancer les frais.
• Emmanuel Macron a annoncé que les tarifs de remboursement seraient ceux pris en charge par la Sécurité sociale. Cependant, des membres du gouvernement sont revenus sur ces propos dans les jours suivants : ces tarifs pourraient également inclure une part de mutuelle. Le réel montant pris en charge par la CPAM serait donc encore inférieur.

– Vous allez réaliser cette séance auprès du psychologue, puis vous retournez voir le médecin généraliste.
• Votre psychologue a l’obligation de rédiger un compte-rendu de ce bilan, qui sera transmis au médecin généraliste et à la CPAM. Votre médecin lira le compte-rendu pour décider du nombre de séances remboursées à vous prescrire. Si vous souhaitez être remboursé.e, vous n’avez pas le droit de bénéficier du secret professionnel et de demander à ce que le compte-rendu ne soit pas accessible pour le médecin ou l’assurance maladie.
• Le nombre de séances alors prescrites est variable selon les temps et les sources, mais il est vraisemblable qu’il soit composé de 7 séances, renouvelables une fois par an seulement.

Vous pouvez effectuer ces séances auprès du psychologue de votre choix (celui qui a réalisé le bilan, ou un autre). Les séances sont remboursées 30€, toujours sans dépassement d’honoraires autorisé. Leur durée n’est pas imposée.
• Vous n’avez pas à avancer les frais, le psychologue sera rémunéré directement par la CPAM.
• En revanche, beaucoup de psychologues ont rapporté n’avoir été payés qu’à la fin de l’ordonnance, soit après la totalité des séances.
• Votre psychologue rédige un nouveau compte-rendu du suivi, qui sera lu par le médecin généraliste. Dans certains dispositifs d’expérimentation, le psychologue ne pouvait être payé que lorsque le médecin « validait » ce compte-rendu. Nous ne savons pas si cela sera le cas du dispositif applicable à partir de janvier 2022.
• La durée des entretiens n’est plus limitée à 30 minutes. Cela étant, le tarif n’ayant pratiquement pas augmenté, le psychologue ne pourra probablement pas se permettre de doubler le temps de consultation pour autant.

– Si vous avez besoin d’autres séances à la fin de cette première prescription, vous devez retourner voir le médecin généraliste pour répéter l’opération.
• Selon les dernières annonces d’Olivier Véran, ces 7 séances ne seraient disponibles qu’une fois par an. Vous devriez donc attendre l’année suivante pour en demander le renouvellement.
•  Dans les dispositifs d’expérimentation, le médecin généraliste vous fournissait une ordonnance pour aller réaliser le nouveau bilan auprès d’un psychiatre, qui lui-même vous distribuait une nouvelle ordonnance prescrivant le nouveau nombre de séances. Nous ne savons pas si cela sera toujours le cas du nouveau dispositif.

En résumé :
– Un dispositif flou et changeant.
Parcours hyper complexe pour le patient.
Nombre de séances insuffisant pour la grande majorité des suivis.
Délais importants avant la rémunération du psychologue.
Pas de secret professionnel, de confidentialité de votre suivi.
Paramédicalisation informelle du psychologue.
Tarifs de remboursement très inférieurs à la moyenne pratiquée, et ne tenant pas compte de ce qui est payé par le prix d’un entretien.

Que paye le prix de votre entretien ?

Lorsque que vous payez un entretien psychologique, le temps d’entretien (généralement trois quarts d’heure/une heure pour du suivi, et plusieurs heures pour un bilan) n’est pas le seul élément pris en compte dans le calcul du tarif. En effet, les entretiens étant le seul moment de rémunération du psychologue libéral, ce prix doit comprendre :

– Le temps de l’entretien lui-même. Cela inclut le temps de vous accueillir, pour un suivi, de prendre de vos nouvelles depuis l’entretien précédent, le corps de l’entretien lui-même (durée variable selon le type d’entretien, le professionnel, votre profil et votre situation), puis le temps de clôture avec souvent programmation du rendez-vous suivant.

– Le temps de relire les notes de la fois précédente, ou parfois de lire votre dossier ou les pièces que vous avez transmises, avant l’entretien, et de synthétiser les prises de notes du jour, après l’entretien. Par exemple, un dossier judiciaire peut facilement atteindre les 1000 pages, dont la plupart sont essentielles.

– Bien souvent, la remise au propre pour vous de ce qui a été vu ensemble, ou le modèle d’un exercice abordé, ou encore un courrier pour un autre professionnel, ou le compte-rendu d’un test. Pour les confrères neuropsychologues, par exemple, un bilan dont le temps de passation auprès de vous est d’1h30 peut prendre 4 à 5 heures supplémentaires à coter, analyser, et rédiger.

– Les temps où vous pouvez contacter votre psychologue hors entretien. En effet, il est beaucoup plus facile pour le professionnel de vous consacrer du temps par mail, par téléphone, en visio ou autres, en dehors des temps d’entretien, lorsqu’il n’a pas besoin de réaliser 45 entretiens par semaine.

– Les formalités administratives et comptables liées à l’entretien et à l’activité en général (déjà présentes sans être conventionné.e auprès de la CPAM).

– La formation continue. Ce que l’on appelle le « temps FIR » (Formation – Information – Recherche) est censé couvrir un tiers du temps de travail d’un psychologue (autant vous dire que ce quota n’est jamais atteint). Il permet au psychologue de poursuivre sa formation tout au long de sa carrière, pour s’informer sur les mises à jour de la discipline : les théories psychologiques et les traitements thérapeutiques, comme les traitements médicamenteux, évoluent et se perfectionnent au cours du temps. Il permet aussi à votre psychologue de se renseigner sur un point touchant votre situation précise, qu’il n’avait pas rencontré auparavant, apprendre l’utilisation d’un nouvel outil, se spécialiser davantage, etc.
Ce temps est donc fondamental pour garantir la qualité de votre suivi.
Lorsque cela est possible, le temps FIR sert aussi à l’accueil de stagiaires psychologues, afin de garantir la qualité des suivis de demain !

– Pour de nombreux psychologues, la supervision ou l’analyse de pratiques, qui permettent de prendre du recul sur sa manière de travailler avec un autre professionnel expérimenté. Ces séances sont payantes et coûtent plus cher qu’un suivi psychologique.

– Les charges (loyer, factures et aménagement du cabinet, assurance professionnelle, normes administratives à faire valider…) et les cotisations sociales (un peu plus de 20% du chiffre d’affaire, pour un professionnel qui a plus d’un an d’expérience), sans compter l’imposition.

– Les temps où le psychologue ne travaille pas. En effet, en libéral, le psychologue ne bénéficie pas de congés payés, et pratiquement pas de congé parental ni même d’arrêt maladie. Lorsque votre psychologue ne réalise pas d’entretiens, il ne dispose généralement d’aucun revenu.

– Le lissage avec les « mois creux » de l’année. Lorsque vous partez en vacances, vous faites souvent également une pause dans votre suivi, ce qui vous permet de souffler totalement 🙂 En conséquence, en juillet et en août, ou pendant les fêtes de fin d’année, les professionnels installés en libéral réalisent souvent moitié moins, voire davantage, de consultations que le reste de l’année. Cependant, les charges (contrairement aux cotisations) ne diminuent pas de manière proportionnelle. Ce type de variabilité des revenus selon les périodes de l’année se retrouve dans bon nombre d’autres professions.

– Pour certains professionnels, les temps de déplacement. Selon le type d’activité, beaucoup de psychologues réalisent des temps de trajet importants pour réaliser leur activité professionnelle, par exemple parce qu’ils proposent des suivis à domicile ou une évaluation sur place, pour vous accompagner in vivo dans des situations spécifiques, ou encore pour venir témoigner lors d’une audience. Il n’est bien sûr pas possible de réaliser d’autres suivis pendant ce temps.

Comme vous pouvez le constater, le prix d’un entretien d’une heure couvre bien plus qu’une heure de travail. Ainsi, un tarif brut proposé de 30€ pour un entretien n’entraine même pas une rémunération brute de 30€ de l’heure, mais un tarif bien inférieur, en-dessous du SMIC horaire.

En résumé, en adhérant au dispositif de conventionnement tel qu’il est proposé actuellement, nous risquons :

– Un épuisement des professionnels, et une baisse de leur motivation et de leur investissement dans leur travail, ainsi qu’une précarité financière élevée.

– Une forte baisse de la qualité de votre suivi, que ce soit au niveau de la durée et de la fréquence des entretiens, de la richesse de leur contenu, ou de la disponibilité mentale et hors entretien de votre thérapeute.

– Un tri entre les patients, la grande majorité des professionnels ne se conventionnant pas, et un quota maximal de patients bénéficiant de ce dispositif pour ceux qui se conventionneraient.

– De montrer aux pouvoirs publics qu’il n’est pas nécessaire de changer ces conditions.

Que proposons-nous
à la place ?

Puisque une critique non constructive n’a que peu d’intérêt, voici les propositions qui conviendraient à la majorité des professionnels, et feraient de ce dispositif de remboursement une véritable avancée sociale :

– Permettre l’accès libre au remboursement sans imposer le passage et la validation d’un médecin, même si l’adressage reste possible.

Augmenter le tarif de remboursement. Nos confrères belges, dont le diplôme et le type d’exercice sont les mêmes que les nôtres, viennent d’obtenir un remboursement de 75€ par consultation, sans ordonnance, automatique pour jusqu’à 20 séances par an.

Autoriser le dépassement d’honoraires. Cette mesure peut même être une alternative à l’augmentation du tarif.  En effet, si le psychologue peut dépasser ce tarif de 30€ par entretien :

Tous les patients pourront bénéficier de cette diminution du coût du suivi.

• Les professionnels pourront de nouveau faire une différence entre tarif « normal » et « réduit », et grâce à cet équilibre, proposer effectivement un reste à charge nul pour les patients aux revenus plus modestes.

Par ailleurs, le dépassement d’honoraires est autorisé pour les médecins.

– D’une manière générale, garantir la liberté d’exercice des professionnels. Selon leur Code de Déontologie, les psychologues doivent pouvoir choisir librement la durée, la fréquence, et le contenu de leurs entretiens, ainsi que l’approche théorique et clinique et les outils utilisés. En effet, la prise en charge de la souffrance psychique nécessite de pouvoir faire du cas par cas et de la personnaliser en fonction de votre situation unique. Chaque professionnel a une méthode et un « style » thérapeutique différents, cette variété permet que chacun puisse trouver un professionnel qui lui convient.

– Actuellement, notre Code de Déontologie n’a aucune valeur juridique, et notre profession n’a pas de statut juridique, se voyant attribuer le statut bâtard de « profession « assimilée » à la santé ». C’est pourquoi une partie des psychologues demande la création d’un Ordre professionnel, afin de donner du poids à notre code professionnel et protéger notre pratique.

Le remboursement des consultations de psychologues, réalisé dans de bonnes conditions, serait une véritable avancée sociale pour le pays. Dans sa version actuelle, le dispositif est boycotté par 92% des psychologues. Pourtant, au moins 75% des psychologues restent favorables au principe de remboursement.

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