La Criminologie
En France, la criminologie est encore considérée comme une spécialisation du droit (droit pénal) ou de la psychologie (psychocriminologie). Pourtant, dans d’autres pays, anglophones (Royaume-Uni, USA, Canada) ou francophones (Belgique, Suisse, Côte d’Ivoire), la criminologie est une discipline universitaire à part entière. Plusieurs pays disposent même d’un titre de criminologue protégé et d’un Ordre des criminologues pour encadrer leurs pratiques.
Quelle est cette science encore peu reconnue chez nous ?
La criminologie est une discipline qui suscite intérêt et fascination, mais elle est encore peu connue. La France n’en a à ce jour toujours pas fait une discipline universitaire, et le grand public en entend principalement parler par les médias : les fictions portant sur les enquêtes (romans policiers, séries télé sur divers experts, …), et les faits divers. Ces sources d’informations ne provenant elles-mêmes pas d’experts, la définition de la criminologie dans la population générale est basée sur de nombreux stéréotypes.
Idées reçues sur la criminologie

Les séries policières ne ressemblent en aucun point à la réalité du terrain en criminologie
Il est nécessaire de suivre un cursus spécifique pour faire de la criminologie
En France, la criminologie n’est pas encore reconnue au niveau universitaire, et ce retard se reporte sur les professions qui pourraient y être associées : le titre de criminologue n’est pas reconnu ni protégé par la loi, et n’importe qui peut s’en servir.
Les métiers liés au milieu de la criminologie sont donc effectués par des professionnels issus d’autres disciplines : sciences de l’éducation, sciences sociales pour les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, droit pour les professionnels de la justice, médecine pour les médecins légistes et les psychiatres réalisant des expertises, psychologie pour les psychologues experts et ceux soutenant ponctuellement les commissariats, informatique pour les personnes chargées d’analyser des données, police, etc. Il existe tout simplement plusieurs métiers dans le champ de la criminologie. Bien sûr, il est regrettable qu’une partie de ces professionnels n’ait jamais bénéficié d’enseignements en criminologie au cours de sa formation.
En étudiant la criminologie, on peut devenir profiler et aider la police dans ses enquêtes
Contrairement à ce que de nombreux médias laissent entendre, « profiler » n’est pas un métier qui existe. Le profilage, connu depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, est une discipline qui n’a pas encore démontré son efficacité au niveau scientifique (même si des études sont en cours, et qu’elle cherche à devenir une discipline expérimentale, comme les autres disciplines scientifiques).
Les criminologues qui veulent remplir la fonction de profileur ne sont appelés qu’en dernier recours par les enquêteurs, lorsque le travail de l’enquête n’amène plus aucune piste, et que les voies de recours s’apprêtent à expirer (les téléphiles reconnaitront l’appellation de « cold case »), afin d’éviter d’entraîner les enquêteurs vers une fausse piste ou une erreur judiciaire. Ces professionnels emploient en effet des méthodes pseudo-scientifiques. Si nos connaissances étaient suffisantes pour faire du profilage (identifier le profil de la personne qui a commis une infraction à partir de caractéristiques de l’infraction), il s’agirait simplement d’une analyse statistique, qui ne nécessite pas l’intervention d’un psychologue. De plus, la littérature scientifique montre que toutes les infractions peuvent être commises par n’importe qui, et il n’existe donc jamais de « profil-type » de criminels.
La psychocriminologie permet d’évaluer le fonctionnement psychologique ou le risque de récidive d’un criminel, et de proposer une prise en charge pour les faire évoluer, mais ne contribue pas à l‘élucidation du crime comme la criminalistique. On ne peut par exemple pas détecter le mensonge, même à l’aide des méthodes de recherche les plus poussées. Le psychologue criminologue n’intervient donc pas avec les policiers lors de l’enquête, mais plus tard dans la chaîne pénale.
En étudiant la criminologie, on peut arrêter des tueurs en série
Non seulement le criminologue n’intervient pas dans l’enquête de police, mais celle-ci ne porte par ailleurs pratiquement jamais sur des meurtres en série. En effet, les homicides sériels sont particulièrement rares, et la plupart du temps rapidement élucidés. Il ne s’agit donc pas du tout du type d’infraction présentant les plus grands enjeux en termes de connaissances criminologiques. Les infractions lucratives ou les violences intrafamiliales représentent des dommages bien plus importants pour la société et des casse-têtes bien plus complexes pour les professionnels, même s’ils intéressent moins le grand public car ils sont moins rares, sont perçus comme moins graves, et sont moins représentés dans les médias.
Puisqu’il y a « crime » dans criminologie, on songe naturellement aux actes les plus monstrueux quand on évoque la discipline. Seulement, si les meurtres, viols, et kidnappings sont les plus graves et donc les plus choquants, ce ne sont heureusement pas les plus nombreux, et donc pas les seuls à étudier. La criminologie a en réalité vocation à étudier tous les types d’infractions, y compris les contraventions et les délits. Déception peut-être, pour certains jeunes policiers qui auraient espéré intégrer une brigade criminelle, mais étudient principalement des délits routiers, liés à des bagarres, ou à de la consommation d’alcool.
Le criminologue suit toute la procédure pénale du début à la fin et aura donc une connaissance parfaite de la situation
Le dernier « cliché » principal sur la criminologie véhiculé par les médias est celui de l’enquêteur omnipotent : la personne qui, rodée à toutes les disciplines, sera la première arrivée sur les lieux du crime (en talons aiguilles et bien entendu sans charlotte sur la tête), effectuera les prélèvements, les analysera au laboratoire, en déduira naturellement et dans la journée qui est le coupable, l’interrogera elle-même, procèdera à son arrestation, assistera au procès, ira la voir en prison, et verra la victime reconstruire sa vie.
En réalité, le travail d’enquête nécessite des moyens humains, temporels, et financiers massifs :
– Grâce aux évolutions scientifiques, les métiers de l’enquête sont aujourd’hui très techniques et pointus. Cela signifie que plusieurs professionnels, spécialisés, se chargeront de chaque aspect de l’enquête. La personne chargée de mener l’enquête récupérera et interprétera le travail de ses collègues, mais n’aura pas eu le temps de l’effectuer elle-même.
– La durée nécessaire pour réaliser une analyse n’est malheureusement pas instantanée. Selon la tâche demandée, elle peut aller de quelques minutes (lire un document) à quelques mois (analyser une séquence ADN), et cela sans compter le temps d’attente nécessaire, lorsque les appareils ne sont pas disponibles car déjà à l’œuvre sur une autre enquête. Cela explique bien entendu les délais nécessaires pour mener une enquête à bien.
N.B. : En Angleterre, nos confrères sont légèrement plus rapides, grâce aux moyens plus importants accordés aux cellules de police technique et scientifique, qui leur permettent de disposer de davantage de matériel.
– L’argent est donc un dernier critère d’importance dans le choix des méthodes et outils utilisés lors de l’enquête : la coûteuse machine permettant de faire du séquençage d’ADN n’est pas utilisée pour enquêter sur chaque cambriolage, et est réservée pour les infractions les plus graves. De plus, selon les cas, la charge de payer les frais d’enquête, d’actes et de procès (les « dépens ») n’incombe pas toujours à la même personne, qui n’a pas toujours les moyens de le faire.
Définition de la criminologie
On peut définir la criminologie comme la science étudiant le phénomène criminel. Cela comprend sa nature (en quoi consiste le crime ? comment se déroule-t-il ?), ses causes et son développement (pourquoi et comment apparait-il et se maintient-il ?), et son contrôle (l’interruption, mais aussi la prévention du crime).
L’analyse ou l’évaluation criminologique comprendra les travaux de recherche permettant de développer la discipline, ceux d’analyse et d’interprétation de données (vidéosurveillance, bases de données d’un site internet, informations rassemblées par les forces de police…), ainsi que les professionnels chargés d’évaluer concrètement une situation afin de permettre à la justice de s’y adapter (experts judiciaires).
L’intervention comprendra les cas où le professionnel travaille directement auprès de la personne commettant l’infraction, ou de sa victime (métiers de la police et de la sécurité, professions judiciaires, intervenants psycho-médico-sociaux, …), afin de diminuer son impact : réinsertion du criminel, prise en charge psychologique de la victime, etc.
Ces deux aspects interviennent à tous les niveaux temporels : la prévention de l’infraction, son interruption, et la prévention de la récidive.
La criminologie peut également être découpée en trois objets d’intérêt : le criminel, la victime, et les conditions de commission de l’infraction.
– Le criminel amène de nombreuses informations utiles sur le crime : son parcours de vie, sa personnalité, ses motivations, les éléments qui l’ont incité à passer à l’acte, et sa trajectoire criminelle : quel type d’actes commet-il ? à quel moment ? sont-ils répétés dans le temps ? y a-t-il une variation ou une aggravation ? quels types d’interventions sont efficaces auprès de lui pour empêcher la récidive ?
– La victime peut également fournir des connaissances précieuses sur elle-même, l’agresseur, le déroulement du crime, ses conséquences, etc. Sa prise en charge nécessite d’être adaptée à ses besoins et sa situation.
– Enfin, le contexte de commission de l’infraction, souvent oublié, est d’autant plus intéressant qu’il est lui aussi l’occasion de faire de la prévention : la modification de l’environnement permet elle aussi d’endiguer le phénomène criminel. Trop de feux de poubelles en centre-ville ? Ce phénomène disparait dans les communes qui disposent de systèmes de trappe où les poubelles sont sous le sol, et ne peuvent pas prendre feu faute d’alimentation en oxygène.
La criminologie est donc la science qui étudie le phénomène criminel, sa nature, ses causes, son développement, et son contrôle. Elle se divise en deux sous-disciplines :
– La criminalistique, qui inclut principalement la police technique et scientifique et quelques spécialités d’experts judiciaires, et qui participe spécifiquement au recueil des éléments de preuves et à la manifestation de la vérité.
– La criminologie à proprement parler, parfois aussi appelée psychocriminologie ou sociocriminologie. Celle-ci propose des théories et des outils d’analyse du crime, pour comprendre comment il fonctionne ; et d’intervention, pour essayer de prévenir ou stopper un crime ou sa récidive, ou réparer les dommages qu’il a causés.
Une multitude de spécialités
Même avec ces précisions, la criminologie reste un sujet très vaste. Les professionnels peuvent imaginer tous types de spécialisation et les croiser : par mission (type d’évaluation ou d’accompagnement ?), par infraction, par type de public rencontré (victimologie uniquement ?)… Il est par exemple possible de se spécialiser dans la connaissance des infractions liées au trafic d’œuvres d’art, dans l’évaluation du risque de récidive des auteurs de violences sexuelles, dans l’accompagnement des victimes de violences conjugales, dans l’entretien pénal auprès des mineurs, etc.
L’École de Criminologie de l’Université de Montréal propose par exemple un découpage en dix spécialités de la criminologie :
La criminologie clinique
Elle s’intéresse à l’individu qui commet le comportement criminel, pour mieux le comprendre et le faire progresser vers le désistement criminel (aussi appelé désistance). Cette spécialité développe et utilise des outils d’évaluation criminologique, et d’évaluation du risque de récidive, et des plans d’intervention adaptés aux besoins.
L’étude de la criminalité en col blanc
La criminalité en col blanc regroupe des crimes économiques, réalisés avec ruse ou dissimulation, sans violences : fraude, blanchiment d’argent, transferts de fonds, corruption, collusion … Cette spécialité s’intéresse aux caractéristiques des individus qui les commettent, et à la prévention et au contrôle social.
La criminologie développementale et des parcours de vie
Cette spécialité voit le comportement délinquant comme un phénomène qui évolue dans le temps, avec autant de stabilité que de changement. Elle cherche à comprendre comment et pourquoi les comportements criminels émergent, s’installent, et cessent, tout au long de la vie des individus.
L’étude de la criminalité organisée
Elle est définie comme « une entreprise persistante impliquée dans des activités délinquantes liées à une certaine demande par le public, ce qui inclus l’approvisionnement en biens et/ou services illicites ». La criminalité organisée peut aussi passée par l’infiltration d’entreprises légales ou gouvernementales. Cette spécialité s’intéresse donc par exemple aux gangs, aux cartels de drogue, ou à la mafia.
La cybercriminologie
La cybercriminalité désigne des comportements criminels et déviants qui sont facilités par les technologies informatiques, comme le piratage informatique, la fraude informatique, le vol d’identité, l’exploitation sexuelle sur Internet, le cyber-harcèlement, le cyber-terrorisme et la vente de produits illicites en ligne. Ainsi, la cybercriminologie s’intéresse au fonctionnement de ces délits, aux personnes qui les commettent, et à la prévention et la sanction de ce phénomène.
La criminologie des violences sexuelles
L’étude de la délinquance sexuelle essaie de comprendre les processus et les schémas cognitifs derrière des passages à l’acte tels que le viol, l’abus sexuel d’enfant, le voyeurisme, l’exhibitionnisme, ainsi que la possession, distribution et production de pornographie juvénile. Cette branche de la criminologie crée et utilise aussi des outils d’évaluation et des programmes de traitement des déviances sexuelles et de la récidive sexuelle.
La pénologie
Il s’agit de l’étude des politiques pénales et des pratiques correctionnelles. Elle s’intéresse donc au processus judiciaire, aux peines alternatives, et à l’incarcération, ainsi que leurs effets. La pénologie a montré les conséquences négatives de certaines peines sur les individus, leurs proches, la société, et les professionnels du milieu pénal. Ces observations ont également donné naissance à la criminologie critique. De nombreux spécialistes de la pénologie sont issus d’une formation en droit pénal.
L’étude des liens entre infractions et santé mentale
Certains travaux en criminologie s’intéressent aux liens entre les problèmes de santé mentale (ex. : les addictions), les infractions, et le processus judiciaire. Ils partent des constats qu’un comportement illégal a un impact sur sa victime et son auteur, et que les personnes souffrant de ce difficultés de santé mentale sont surreprésentées devant les tribunaux et en population carcérale. De nombreux spécialistes de cette question sont initialement psychologues ou psychiatres, puisque la compétence en diagnostic s’y révèle essentielle.
La victimologie
Elle s’intéresse aux individus qui subissent les comportements criminels et déviants de diverses façons. La victimologie étudie en effet les caractéristiques des victimes, la nature, l’ampleur et les conséquences de leur victimisation, et les facteurs de risque de victimisation. Elle s’intéresse aussi au traitement des victimes par le système judiciaire, et aux interventions psychosociales auprès d’elles.
La criminologie des violences
Tout comme la délinquance sexuelle, la violence est l’objet d’une expertise particulière en criminologie, car elle fonctionne différemment. La psychocriminologie des violences s’intéresse donc aux auteurs et victimes de violences, et à leur fonctionnement et leur évolution dans le temps et l’espace. La violence peut inclure des formes physiques, mais aussi psychologiques, économiques, verbales, institutionnelles, etc. On peut noter que les violences sexuelles sont également une forme de violences.
Si vous souhaitez en savoir plus sur cette discipline, vous pouvez consulter mes projets de vulgarisation de criminologie. Vous pouvez également voir d’autres types d’approches qui influencent les motifs de consultation proposés.
Dernière mise à jour de cette page : 05 / 05 / 2025.
