Qu’est-ce que l’intelligence ?
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Si vous interrogez une personne au hasard et lui demandez quelles seraient les qualités de son âme sœur, vous aurez une chance significative de retrouver le trio Beauté – Intelligence – Humour.
Si vous lui demandez de définir à quoi correspondent ces concepts, elle s’en sortira probablement pour ce qui est de l’humour, mais se grattera plus longuement la tête face aux deux autres.
D’ailleurs, apprécie-t-on une personne pour sa beauté, son intelligence ou son humour, ou lui attribue-t-on ces caractéristiques parce qu’on l’apprécie ?
Comme toujours, le contenu pratique que l’on met dans ces différents concepts dépend de la représentation que l’on s’en fait. Alors, comment définissons-nous l’intelligence ?
Le dictionnaire Le Robert définit l’intelligence comme « La faculté de connaître, de comprendre ; qualité de l’esprit qui comprend et s’adapte facilement », ou comme « L’ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance rationnelle » (en opposition à la sensation et à l’intuition).
Cette définition théorique est plutôt consensuelle, et propose un embryon de « Quoi ? » (connaître, comprendre, s’adapter) et un de « Comment ? » (par différentes fonctions mentales). Certains concepts comme l’esprit, l’adaptation, ou la fonction mentale, apparaissent alors et méritent eux-mêmes d’être définis pour pouvoir aller plus loin.
Arrivés là, penseurs, scientifiques et chercheurs commencent à se disputer pour savoir comment l’observer en pratique, ou, pire, comment la mesurer.
Si l’on compare un éléphant et une abeille, sur quels critères allez-vous vous baser pour définir lequel est le plus intelligent ?
Les fausses bonnes idées
– La taille du cerveau. « Si mon cerveau est plus gros, je peux y mettre plus de choses, donc je suis plus intelligent. » : ainsi pensaient les premiers anatomistes et phrénologues, supposant alors en toute logique que, puisque leur cerveau est plus lourd, les hommes devaient être plus intelligents que les femmes.
Si vous comparez un éléphant et une abeille, le premier a évidemment un cerveau plus gros et plus lourd. Cependant, rapporté à leur corps entier, le cerveau de l’abeille occupe 4% de sa masse totale, contre seulement 0.18% pour l’éléphant… Sans oublier que la majeure partie du poids d’un cerveau est constituée non de neurones, mais d’eau.
Si vous souhaitez utiliser à la place le nombre de neurones, alors le poulpe, capable de chasse, de camouflage, et de résolution de problèmes, et comportant des neurones dans chacun de ses huit bras, qu’il est capable de faire repousser, est à peine plus intelligent qu’un lapin de garenne (500 millions de neurones contre environ 494 millions), et nous sommes moins intelligents que les orques.
– Le QI. Les tests neuropsychologiques proposant des mesures de « Quotient Intellectuel » permettent de mesurer la rapidité et la précision avec laquelle on effectue plusieurs exercices. Comme tout test psychométrique, ils ont été conçus en regard des mêmes définitions que celles utilisées pour les concepts qu’ils sont censés mesurer. « Je dis que l’intelligence est la capacité à tourner des cubes rapidement pour reproduire un modèle ; ma rapidité pour tourner ces cubes montrera donc à quel point je suis intelligent. ». Ce concept psychométrique, la validité, est bien sûr nécessairement arbitraire (il faut bien choisir des définitions pour continuer d’avancer), et a l’inconvénient de ne pas s’adapter à ce qui sort de son contexte. On sait déjà que les sacro-saints tests de QI attribuent de plus mauvais scores à des individus en dehors des systèmes scolaires occidentaux, moins habitués à réaliser les tâches mêmes proposées lors de ces tests. Peut-on dire qu’une personne qui obtient un score de QI plus bas est moins intelligente ? Dans ce cas-là, les races de chien de taille moyenne à grande sont plus intelligentes que des enfants de 2 ans à 2 ans et demi, voire au-delà encore en retirant les compétences impliquant notre langage.
Les neurones de chaque tentacule d’un poulpe ont des connexions fonctionnelles à l’intérieur du tentacule ET dans l’ensemble de son corps, pour gérer différentes fonctions.
Une ou des intelligence(s) ?
Comme l’a montré la définition du Robert, une manière plus intuitive de définir ou de mesurer l’intelligence est de décrire ce qu’elle permet de faire, en termes de compétences ou de performances.
Toute une branche des sciences humaines, les Sciences cognitives, s’intéressent à l’étude de nos différentes fonctions cognitives (ou intellectuelles, ou mentales), et de leurs différences en fonction des individus, des pathologies et des espèces. Elles sont en lien étroit avec la Psychologie, la Médecine, et les Neurosciences, voire avec d’autres disciplines comme l’Économie ou l’Informatique.
Parmi les grandes fonctions cognitives, on peut citer le langage, la perception, le raisonnement, la mémoire, la planification, l’attention… En définissant plus précisément les fonctions, on obtient alors des compétences assez fines, comme la permanence de l’objet, la théorie de l’esprit (une compétence déjà observée chez le chien, mais que l’humain commence à développer seulement vers l’âge de 4-5 ans), ou l’écholocalisation, pour prendre un exemple non maîtrisé par notre espèce. Ces nombreuses fonctions et leurs interactions influencent notre pouvoir de perception, de compréhension, et d’action sur notre environnement, sur nous-mêmes et nos semblables. Elles correspondent souvent à des aires cérébrales différentes, et sont altérées ou préservées indépendamment les unes des autres en cas d’accident ou de maladie.
On peut encore définir différentes intelligences sous un autre angle, en comparant ce que l’on appelle les intelligences fluide et cristallisée :
– L’intelligence fluide regroupe notre vitesse de traitement, notre précision dans une tâche, et la quantité d’informations que nous pouvons traiter simultanément. Elle est la plus élevée entre l’adolescence et le début de l’âge adulte, puis décroît progressivement. Sur un ordinateur, elle correspondrait au processeur ou à la RAM.
– L’intelligence cristallisée correspond davantage à nos mémoires : elle regroupe la somme de nos connaissances, de nos souvenirs, de nos attitudes de nos expériences… Elle peut parfois être altérée par certaines pathologies, mais en temps normal, elle se consolide tout au long de notre vie, pour devenir de plus en plus riche. Sur un ordinateur, elle correspondrait au disque dur ; aux logiciels, fichiers et informations stockés.
Ces deux intelligences interagissent sur de nombreux points et changent les résultats de nos actions : je peux résoudre un problème rapidement si j’effectue rapidement plein de tentatives différentes, mais aussi si je connais déjà la façon la plus efficace de faire.
Enfin, on parle bien trop peu à mon goût des intelligences non « intellectuelles » : comment fonctionnerait un individu sans ses intelligences émotionnelle, sociale, manuelle… Elles sont souvent sous-cotées dans nos conversations et nos manières de nous comparer aux autres, mais pourtant, elles sont parfois plus utiles à notre bien-être, et on s’imagine difficilement pouvoir vivre sans. C’est une des raisons pour lesquelles les bilans basés uniquement sur les tests de QI me paraissent absolument insuffisants et incomplets pour rendre compte du fonctionnement ou du mal-être de quelqu’un. A minima, les intelligences « intellectuelle », émotionnelle et sociale formeraient une bonne triade de départ ! Leurs interactions sont multiples et méritent aussi d’être prises en compte.
Une fonction adaptative
Au final, la caractéristique la plus intéressante des définitions de l’intelligence est la capacité d’adaptation.
Définir l’intelligence comme un groupe de compétences, de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être permettant de s’adapter à son environnement et ses changements, semble être une approche pertinente et saine de ce concept complexe.
Comme la personnalité, l’intelligence s’exprimera différemment selon les contextes, réagissant aux stimuli, à leurs enjeux, et à leurs changements, et s’affinant au cours du temps pour s’améliorer encore, à l’échelle de l’individu, à celle de l’espèce, ou à celle du système d’individus : la souplesse permet toujours mieux l’homéostasie d’un système que sa rigidité.
On pourrait ainsi renoncer à la comparaison entre les différentes espèces ou les différents contextes de vie, cherchant à déterminer « Qui est le plus intelligent ? », et se concentrer à la place sur des comportements, des spécificités anatomiques ou des capacités qui semblent taillés tellement sur-mesure pour leur environnement, que l’on se pose la question de l’existence du hasard.
Dieux, Dames Nature, destin… Combien de formes d’arts, de philosophies et de spiritualités rendent en réalité hommage à nos intelligences ?
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