Comment réagir si un mineur me raconte avoir été victime de violences ?
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Que vous soyez parent, professionnel travaillant auprès de mineurs, ou tout simplement que vous côtoyiez des enfants, il est malheureusement possible que vous soyez un jour confronté à une situation où un enfant se confie à vous et vous raconte un abus.
Dans ce genre de cas, on a envie d’apporter toute l’aide possible, mais il est difficile de démêler nos propres émotions des enjeux de la situation. Voici donc quelques conseils pour vous aider à réagir au mieux si cela vous arrivait un jour.
Par rapport au mineur
Le mineur qui se confie auprès de vous peut être un.e enfant ou un.e adolescent.e. Malgré les différences que cela suscite, votre réaction peut être similaire quelque soit son âge.
– L’écouter sans l’interrompre. Si un enfant ou un adolescent vous confie qu’il a été victime d’abus, vous êtes souvent pris au dépourvu et ne vous trouvez pas forcément dans une situation idéale pour entendre ce récit. Lorsque c’est possible, proposez au mineur un endroit calme où vous ne serez pas dérangés pour avoir cette conversation, et d’être seul.e avec lui ou elle (ou avec votre conjoint.e, si vous êtes ses parents et que votre enfant vient vous voir en même temps).
Une fois que le cadre protège au mieux la confidentialité et l’intimité de votre conversation, laissez le mineur vous raconter ce qu’il souhaite, sans l’interrompre, en l’encourageant si besoin. Même si le cadre ne se prête pas à cette révélation, ne l’interrompez pas : cela pourrait le décourager et il pourrait changer d’avis, l’occasion ne se présentant plus d’entendre ce qu’il a à dire.
Si il ou elle commence à vous raconter quelque chose mais s’interrompt ou change d’avis, n’essayez pas de le contraindre à continuer son récit, mais essayez seulement de le rassurer (voir plus bas).
– Lui poser le moins de questions possibles. La mémoire, a fortiori la mémoire traumatique, est beaucoup plus fragile que l’on ne le pense, et se laisse facilement influencer. L’affaire d’Outreau en est l’exemple le plus tristement célèbre en France, mais sans en arriver à une telle importance, les petits ajouts et déformations de souvenirs sont extrêmement fréquents, et font partie du fonctionnement normal de notre mémoire. Lorsque l’on active un souvenir traumatique, nous sommes encore plus sensibles à ce phénomène de faux souvenirs, pour plusieurs raisons : les souvenirs peuvent être de mauvaise qualité à cause d’une dissociation pendant l’événement, les faits sont insupportables et difficiles à admettre, etc. Le phénomène s’augmente encore davantage chez les mineurs : la mémoire à long terme des jeunes enfants n’a pas encore fini de se former ; selon leur âge, ils ne mettent pas toujours de mots ou de compréhension sur ce qui se passe ; enfin, les enfants font peu confiance à leur mémoire, et adopteront facilement une nouvelle information crédible ou une autre version qui leur serait proposée par un adulte de confiance ou d’autorité (y compris l’agresseur). Quand les événements se sont répétés, les souvenirs ont aussi tendance à être confus car ils se mélangent entre eux.
Pour toutes ces raisons, le récit précis qui vous sera fait par le mineur est fragile et éphémère. Votre mission est d’essayer de déformer le moins possible sa version des faits. Pour cela, évitez au maximum de lui poser des questions au-delà de ce qu’il vous a rapporté spontanément. (Vous avez bien entendu besoin d’avoir un certain socle d’informations, mais l’idéal est d’attendre au maximum après l’enquête pour lui poser des questions librement). Si vous avez vraiment besoin d’une information, ou que vous sentez que le mineur a envie de vous en confier mais a besoin d’un petit coup de pouce, deux conseils vous aident à éviter de l’influencer :
• N’ajoutez pas de nouveaux termes à ce stade, contentez-vous uniquement de reprendre les mots qu’il a lui-même utilisés. Répéter sa dernière partie de phrase avec une intonation interrogative peut être tout à fait suffisant, à condition que votre ton signale bien un encouragement à continuer et pas un doute sur ce qui vous est dit.
• Utilisez des questions ouvertes. Une question fermée est une question à laquelle on peut répondre par oui ou par non, ou par quelques mots tout au plus (ex : « Est-ce que.. ? », « De quelle couleur.. ? », …). Spontanément, nous utilisons majoritairement ce type de questions. Cependant, elles ont tendance à être orientées, mais aussi, les enfants ont tendance à répondre « oui » par défaut à ce genre de questions. Un enfant, surtout jeune, dira assez rarement « je ne sais pas », surtout s’il sent que vous êtes en attente d’une réponse. Si vous devez poser une question, essayez plutôt une question ouverte, qui laisse toute la place à un libre développement, ex : « Comment te sens-tu ? », « Qu’est-ce que tu voudrais me dire d’autre ? ».
• Précisez-lui dès le départ qu’il/elle a le droit de ne pas vous répondre ou de dire « je ne sais pas ». Cela ne veut pas dire que le mineur pourra appliquer cette consigne, mais cela peut au moins l’encourager.
Enfin, sachez que les questions sur les faits sont à limiter au maximum en ce qui vous concerne, mais vous avez le droit (et même vous devriez) laisser l’enfant ou l’adolescent.e s’exprimer sur ses émotions. Ce qui relève du présent est entre le mineur et vous, et vous pouvez vous permettre plus de spontanéité pour le réconforter.
– Le croire. Pour commencer, le plus grand service que vous pouvez lui rendre est de croire ce qu’il ou elle vous dit. D’une part, les cas de fausses accusations d’abus sont suffisamment exceptionnels pour être insignifiants, et d’autre part, lorsque ces cas se présentent, il s’avère qu’ils proviennent d’une mauvaise interprétation ou d’une transformation des paroles du mineur, généralement involontaire, de la part des adultes.
La véracité et la précision des faits rapportés par le mineur seront étudiés lors de l’enquête, donc vous n’avez pas besoin de faire ce genre d’évaluation vous-même. Prenez plutôt le parti d’être l’allié.e inconditionnel.le du mineur.
Par ailleurs, faire le récit d’un abus, notamment pour la première fois, est une tâche extrêmement difficile et demande un courage énorme. Si le mineur ressent que vous doutez de sa parole, cela peut non seulement être très traumatisant pour lui ou elle, mais aussi le dissuader de réessayer d’en parler.
Cela étant, le récit peut vous déstabiliser et sembler difficile à croire, a fortiori si le mineur désigne une personne responsable, et qu’il s’agit de quelqu’un que vous connaissez. Quelques conseils là-dessus dans la partie suivante.
– Le rassurer. Bien que ce dernier point soit une évidence, voici quelques éléments sur lesquels vous pouvez insister pour rassurer le mineur tout au long et à la fin de sa confidence : le remercier et le féliciter de vous avoir fait confiance ; lui dire qu’il ou elle a bien fait d’en parler et de vous en parler ; souligner qu’en parler n’est pas facile et est très courageux ; confirmer que vous allez l’aider à faire en sorte que cela ne se reproduise jamais ; rappeler qu’il ne peut jamais être responsable de ce qui lui est arrivé ; que ce qui lui est arrivé n’est pas normal ; que toutes ses émotions et réactions sont normales et légitimes ; etc.
Être victime d’un traumatisme s’accompagne d’une marée d’émotions contradictoires, surtout si l’agresseur est une personne connue voire appréciée de l’enfant. Ce n’est pas forcément nécessaire dès un premier récit, mais si vous sentez que le mineur en a besoin, et que vous vous en sentez capable, vous pouvez aussi lui dire qu’il a le droit de continuer à apprécier son agresseur en plus de toutes les émotions négatives. En effet, un des objectifs principaux sur son état émotionnel sera de l’aider à déculpabiliser. Si le mineur montre des idées suicidaires, vous pourrez retrouver d’autres conseils dans la première et la deuxième partie de mon article sur le suicide.
– Voir comment son récit évolue. Si l’enfant ou l’adolescent vous reparle de ses difficultés plus tard, vous pouvez être surpris.e de l’entendre dire des choses différentes de la fois précédente. Cela peut s’expliquer par tous les changements de souvenirs (naturels ou moins naturels) que l’on a vus précédemment, par le fait que l’enfant retrouve entre temps des souvenirs qui étaient sous amnésie, et tout simplement par le fait qu’il vous fasse confiance et vous en dise davantage. Si une contradiction se présente, vous pouvez la noter mentalement, mais n’y confrontez pas le mineur : les contradictions sont fréquentes, complètement normales, et ne veulent pas dire que le récit de l’enfant est faux. Par ailleurs, mettre l’enfant face à une incohérence sera très stressant pour lui même s’il dit la vérité, et ne l’aidera pas à retrouver la « vraie » version des faits. Le mieux que vous puissiez faire est de vous laisser porter au jour le jour par ce qu’il ou elle vous amène dans ses propos, sans revenir sur les précédents, à moins qu’il ne vous en fasse la demande. L’instabilité de la mémoire et les faux souvenirs sont présents même après le premier récit, tout au long de la vie, donc vous pourrez continuer à appliquer les conseils précédents, même si, une fois l’enquête (et le cas échéant, les procédures judiciaires) passée, mettre des mots avec le mineur sur ce qui s’est passé sera aussi un travail important pour lui permettre d’avancer.
Par rapport à moi-même
– Être attentif à mes propres émotions. Entendre un récit d’abus de la part d’un mineur peut être en soi une expérience traumatisante. Cela peut vous mettre à mal, a fortiori si vous êtes proche de l’enfant, si vous avez vous-même vécu des abus dans votre histoire, si vous connaissez la personne accusée, si le mineur vous a demandé de n’en parler à personne, etc. Soyez attentif.ve et respectueux de vos émotions, et n’hésitez pas à aller rencontrer un professionnel si vous rencontrez des difficultés. Permettre au mineur de raconter ce qu’il a à dire sans interruption alors qu’il a choisi de le faire est génial, recevez ce récit si vous le pouvez ; mais vous avez également le droit d’accompagner le mineur vers une autre personne de confiance pour passer le relais en douceur, si c’est trop difficile pour vous.
– Ne pas m’engager dans une vendetta. La colère, l’envie de justice, voire celle de vengeance, peuvent vous donner envie d’intervenir. Cela peut être une envie d’aller confronter l’agresseur, s’il a été nommé par le mineur, ou l’envie de mener votre enquête, si il ou elle n’a pas été en mesure de le nommer. Résistez à tout prix à cette impulsion : cela peut à la fois compliquer l’enquête des autorités, vous mettre en difficulté, éventuellement mettre en difficulté un innocent en cas d’erreur, et sachez que c’est aussi très difficile émotionnellement pour le mineur de voir se déclencher ce genre de tensions. C’est parfois tellement stressant pour l’enfant ou l’adolescent.e que la culpabilité peut lui faire renoncer à ses propos et revenir sur ses déclarations. Même si les délais peuvent parfois être angoissants, « laissez la justice faire son travail ».
Ce que vous avez en revanche le droit de faire, est d’empêcher le contact entre le mineur et un agresseur désigné, si ce n’est pas son représentant légal. Si vous en avez la possibilité (ex : vous êtes le parent du mineur, et il accuse une personne qui le garde), vous avez même le devoir de faire de la prévention et le protéger de tout nouveau risque, le temps que les autorités établissent ou non les faits.
– Avoir le droit d’en parler. Dans le maelström d’émotions qui peut vous absorber, vous pouvez avoir envie de vous-même partager des choses. Si le récit qui vous est rapporté est lourd, vous avez le droit vous-même d’en parler avec un proche de confiance en plus des professionnels, pour vous faire épauler. Si le mineur vous a demandé de n’en parler à personne, voyez si vous pouvez vous confier à un proche tout en respectant son anonymat (dans tous les cas, rapporter les faits à la police est une obligation légale pour vous).
Si vous avez vous-même vécu des abus, et que ce récit les fait remonter, respectez aussi vos propres besoins, et envisagez la possibilité de vous faire aider ou de faire ces mêmes démarches pour vous-même. Si vous avez vécu un abus et souhaitez partager ce vécu commun avec le mineur, pesez le pour et le contre dans ce que vous comptez lui dire : votre expérience de vie peut lui être très bénéfique, pour normaliser son vécu, et lui montrer que la reconstruction est possible, mais il ne s’agit pas non plus de lui rapporter des éléments sur-traumatisants, ni d’éclipser son statut de victime par le vôtre. Choisissez quels propos et avec quel timing vous voulez échanger, vous aurez le temps.
Par rapport à la situation
Chaque citoyen a l’obligation de signaler un crime aux autorités. Si la victime est mineure, cette obligation est encore renforcée par le devoir de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour assurer sa sécurité. Ce que vous pouvez faire va donc changer en fonction de votre statut et de votre relation avec l’enfant ou l’adolescent.e :
– Si je suis un particulier. Appeler la police est votre mission principale. Racontez-leur les faits qui vous ont été rapportés. Ils vous inviteront à venir au commissariat avec l’enfant pour déposer une main-courante, c’est-à-dire enregistrer tous les éléments dont le mineur et vous disposez, pour permettre la réalisation d’une enquête. Cette étape est indispensable, et sachez qu’elle est indépendante du fait de « porter plainte ». Vous pouvez donc le faire (et y accompagner l’enfant lorsque c’est votre rôle) sans crainte même si vous n’avez pas encore pris de décision sur une volonté de poursuites judiciaires.
Il est également essentiel de permettre au mineur d’être vu par un médecin légiste (la médecine légale est la médecine qui concerne la justice, elle n’est pas réservée aux autopsies!), a fortiori si les faits rapportés datent de moins de 24h ou 48h. Le corps se régénère très vite après tout type de violences, aussi il s’agit d’une question d’urgence : chaque heure supplémentaire écoulée peut entraîner la perte définitive d’indices ou de preuves.
Même si les faits remontent à plus longtemps, cette consultation peut quand même être très bénéfique. Lors de votre appel à la police, demandez où l’enfant peut être vu par un médecin légiste, ils sauront vous renseigner. Ces professionnels sont spécialisés dans ce type de prise en charge, et ont une attitude très adaptée et bienveillante avec les mineurs comme avec les adultes. Même si votre médecin généraliste vous parait moins intimidant, sa formation et son statut différents ne permettront pas de bénéficier des mêmes effets bénéfiques.
Enfin, sachez que cette étape du médecin légiste est très importante même si le mineur ne déclare pas avoir subi de violences sexuelles. Le médecin trouve parfois des éléments qui n’avaient pas été rapportés, soit parce que la victime ne s’en souvient pas à cause de la mémoire traumatique, soit parce qu’elle n’avait pas osé en parler, soit parce qu’elle n’avait pas les mots et concepts pour le décrire ou même s’en rendre compte.
– Si je suis un.e professionnel.le. Si vous êtes au contact du mineur dans le cadre de votre travail (enseignant.e, professionnel.le de santé, du médico-social, animateur.trice jeunesse…), la procédure pour vous pour rapporter les faits entendus est ce qu’on appelle un signalement au Procureur de la République. Il s’agit du même principe que d’une main-courante : rapporter les faits que vous avez entendus, mais par courrier écrit, et sans le mineur lui-même. Dans votre courrier, racontez le contexte et le contenu de tout ce qui vous a été rapporté, ainsi que d’autres éléments pertinents que vous avez pu observer. Dans la mesure du possible, limitez-vous aux faits et non à vos interprétations, même si elles sont pertinentes. Essayez de faire la différence entre vos propos et idées et ceux du mineur (utilisez des guillemets). Si vous avez un doute, utilisez la même méthode que les particuliers et appelez la police pour demander conseil. Sachez tout de même que vous avez l’obligation de rapporter ce que vous avez entendu, d’une manière ou d’une autre, même si vous l’avez déjà fait auparavant pour la même personne avec des faits antérieurs.
– Si je suis le représentant légal du mineur. En plus des éléments précédents, deux possibilités supplémentaires s’offrent à vous :
• Porter plainte. Si vous portez plainte, la justice (le parquet) aura l’obligation d’engager des poursuites contre la personne désignée par l’enfant, à partir des éléments obtenus lors de la main-courante. Cela veut dire que l’affaire passera forcément par la justice, pas seulement par la police et l’enquête. Si la plainte n’est pas déposée, et que le parquet estime qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve, il peut autrement décider de ne pas engager de poursuites. La procédure judiciaire est complexe et très longue. Elle est l’occasion de beaucoup d’émotions, positives comme négatives. Prenez votre temps pour réfléchir, y compris avec le mineur, sur la pertinence et la volonté pour vos deux histoires de porter plainte.
Le parquet peut décider de poursuivre l’agresseur suspecté même si vous ne portez pas plainte, s’il juge qu’il y a assez d’éléments, mais le mineur et vous ne serez alors pas obligés de participer à la procédure.
• Proposer un suivi psychologique au mineur. Chaque personne est différente dans ses capacités de résilience pour se reconstruire après un traumatisme, et il est souvent intéressant de se faire aider par un professionnel. Proposez à l’enfant ou l’adolescent.e de rencontrer un professionnel qui pourra l’aider à avancer et mettre des mots sur ce qui s’est passé, a fortiori si c’est une tâche difficile à réaliser pour vous. Privilégiez un.e psychologue spécialisé.e dans la prise en charge des traumatismes : vous les trouverez auprès des associations de victimes (où c’est parfois gratuit), ou en libéral s’ils en font mention explicitement dans leurs compétences. De nombreuses approches sont aujourd’hui reconnues scientifiquement pour leur efficacité, avec les mots-clés suivants : TCC, EMDR, ou encore thérapie de reconsolidation. Faites très attention à ce que le titre du professionnel soit « psychologue » (ou éventuellement « psychiatre ») et pas autre chose : les autres « psycho-professions » ne disposent d’aucune formation garantie, et la prise en charge d’un traumatisme nécessite des garanties.
Recevoir un récit d’abus est une expérience complexe et souvent douloureuse, mais qui peut potentiellement arriver à chacun. J’espère que vous vous sentirez à présent mieux armé.e pour savoir comment réagir si cela vous arrive un jour.
Merci pour tout ce que vous arriverez à apporter de positif au mineur !