Qu’est-ce que la criminologie ?

Bandeau de scène de crime

Temps de lecture : environ 5 minutes

La criminologie est une discipline qui suscite intérêt et fascination, et son utilité publique et sociale n’est pas à démontrer.

Pourtant, elle est encore peu connue : la France n’en a à ce jour toujours pas fait une discipline universitaire, et le grand public en entend principalement parler par les médias : les fictions portant sur les enquêtes (romans policiers, séries télé sur divers experts, …), et les faits divers.

Ces sources d’informations ne provenant elles-mêmes pas d’experts, la définition de la criminologie dans la population générale est basée sur de nombreux stéréotypes.

La structure de cet article s’inspire du premier épisode de ce podcast, réalisé par le Centre International de Criminologie Comparée (CICC), basé à Montréal. N’hésitez pas à aller l’écouter, il est très accessible, même pour les non-spécialistes !

Ce que la criminologie n’est pas…

La désillusion est parfois grande chez les étudiants, dans les amphithéâtres de première année de Droit ou de Psychologie.

« Pourquoi avez-vous choisi cette discipline ?
– Je veux devenir profiler !
– Ah. »

♦ Ces deux disciplines, les plus demandées des universités françaises par les nouveaux bacheliers, font aussi partie de celles qui ont le taux d’échec ou de désistement le plus fort la première année.
Ceci, non pas car il s’agirait de disciplines inutiles, ni car les étudiants seraient mauvais, mais parce qu’elles font partie de celles qui ne sont pas du tout abordées dans l’enseignement secondaire, et que les étudiants arrivent sans informations concrètes sur leur objet, leur fonctionnement, et les métiers sur lesquels elles débouchent. A la place, d’excellentes intentions, et des stéréotypes construits pendant plusieurs années.

♦ En France, la criminologie n’est pas encore reconnue au niveau universitaire, et ce retard se reporte sur les professions qui pourraient y être associées : le titre de criminologue n’est pas reconnu ni protégé par la loi, et n’importe qui peut s’en servir.
Les métiers liés au milieu de la criminologie sont tout de même effectués par des professionnels compétents, simplement issus d’autres disciplines : sciences de l’éducation, sciences sociales pour les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, droit pour les professionnels de la justice, médecine pour les médecins légistes et les psychiatres réalisant des expertises, psychologie pour les psychologues experts et ceux soutenant ponctuellement les commissariats, informatique pour les personnes chargées d’analyser des données, etc. Ces professionnels regrettent parfois de ne pas avoir bénéficié de cours de criminologie lors de leur formation, et de devoir apprendre ces aspects lors de leur expérience sur le terrain.

♦ Par ailleurs, « profiler » n’est pas un « métier » non plus : le profilage, connu depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, est une discipline qui n’a pas encore démontré son efficacité au niveau scientifique (même si des études sont en cours, et qu’elle cherche à devenir une discipline expérimentale, comme les autres disciplines scientifiques).
Les criminologues remplissant la fonction de profileur ne sont généralement appelés qu’en dernier recours par les enquêteurs, lorsque le travail de l’enquête n’amène plus aucune piste, et que les voies de recours s’apprêtent à expirer (les téléphiles reconnaitront l’appellation de « cold case« ). De plus, il n’existe fort heureusement pas assez de tueurs en série pour que nous ayons besoin de profileurs à temps plein !

♦ Puisqu’il y a « crime » dans criminologie, on songe naturellement aux actes les plus monstrueux quand on évoque la discipline. Seulement, si les meurtres, viols, et kidnappings sont les plus graves et donc les plus choquants, ce ne sont heureusement pas les plus nombreux, et donc pas les seuls à étudier. La criminologie a en réalité vocation à étudier tous les types d’infractions, y compris les contraventions et les délits. Déception peut-être, pour certains jeunes policiers qui auraient espéré intégrer une brigade criminelle, mais étudient principalement des délits routiers, liés à des bagarres, ou à de la consommation d’alcool.

♦ Le dernier « cliché » principal sur la criminologie véhiculé par les médias est celui de l’enquêteur omnipotent : la personne qui, rodée à toutes les disciplines, sera la première arrivée sur les lieux du crime (en talons aiguilles et bien entendu sans inélégante charlotte sur la tête), effectuera les prélèvements, les analysera au laboratoire, en déduira naturellement et dans la journée qui est le coupable, l’interrogera elle-même et procèdera à son arrestation.
En réalité, le travail d’enquête nécessite des moyens humains, temporels, et financiers:
– Grâce aux évolutions scientifiques, les métiers de l’enquête sont aujourd’hui très techniques et pointus. Cela signifie que plusieurs professionnels, spécialisés, se chargeront de chaque aspect de l’enquête. La personne chargée de mener l’enquête récupérera et interprétera le travail de ses collègues, mais n’aura pas eu le temps de l’effectuer elle-même.
– La durée nécessaire pour réaliser une analyse n’est malheureusement pas instantanée. Selon la tâche demandée, elle peut aller de quelques minutes (lire un document) à quelques mois (analyser une séquence ADN), et cela sans compter le temps d’attente nécessaire, lorsque les appareils ne sont pas disponibles car déjà à l’œuvre sur une autre enquête. Cela explique bien entendu les délais nécessaires pour mener une enquête à bien.
N.B. : En Angleterre, nos confrères sont légèrement plus rapides, grâce aux moyens plus importants accordés aux cellules de police technique et scientifique, qui leur permettent de disposer de davantage de matériel.
– L’argent est donc un dernier critère d’importance dans le choix des méthodes et outils utilisés lors de l’enquête : la coûteuse machine permettant de faire du séquençage d’ADN n’est pas utilisée pour enquêter sur chaque cambriolage, et est réservée pour les infractions les plus graves. De plus, selon les cas, la charge de payer les frais d’enquête, d’actes et de procès (les « dépens ») n’incombe pas toujours à la même personne, qui n’a pas toujours les moyens de le faire.

La criminologie : définition

Quels sont donc la véritable définition et le véritable objet d’étude de la criminologie, dans ce cas ?

On peut définir la criminologie comme la science étudiant le phénomène criminel. Cela comprend sa nature (en quoi consiste le crime? comment se déroule-t-il?), ses causes et son développement (pourquoi et comment apparait-il et se maintient-il?), et son contrôle (l’interruption, mais aussi la très importante prévention).

On peut alors séparer la criminologie en deux aspects : l’analyse et l’intervention.
L’analyse comprendra les travaux de recherche permettant de développer la discipline, mais aussi ceux d’analyse et d’interprétation de données (vidéosurveillance, bases de données d’un site internet, informations rassemblées par les forces de police…).
L’intervention comprendra les cas où le professionnel travaille directement auprès de la personne commettant l’infraction, ou de sa victime (métiers de la police et de la sécurité, professions judiciaires, intervenants psycho-médico-sociaux, …).
Ces deux aspects interviennent à tous les niveaux temporels : la prévention de l’infraction, son interruption, et la prévention de la récidive.

Et on peut également la séparer en trois objets d’intérêt : le criminel, la victime, et les conditions de commission de l’infraction.
Le criminel amène de nombreuses informations utiles sur le crime: son parcours de vie, sa personnalité, ses motivations, les éléments qui l’ont incité à passer à l’acte, et ce que l’on appelle sa « carrière criminelle » : quel type d’actes commet-il? à quel moment? sont-ils répétés dans le temps? y a-t-il une variation ou une aggravation? quels types d’interventions sont efficaces auprès de lui pour empêcher la récidive?
La victime peut également fournir des connaissances précieuses sur elle-même, l’agresseur, le déroulement du crime, ses conséquences, etc. Sa prise en charge nécessite d’être adaptée à ses besoins et sa situation.
– Enfin, le contexte de commission de l’infraction, souvent oublié, est d’autant plus intéressant qu’il est lui aussi l’occasion de faire de la prévention : la modification de l’environnement permet elle aussi d’endiguer le phénomène criminel.
Trop de feux de poubelles en centre-ville ? Ce phénomène disparait dans les communes qui disposent des systèmes de trappe où les poubelles sont sous le sol, et ne peuvent pas prendre feu.

Lignes de codes vertes défilant sur un écran

Habitués aux séries policières, nous reconnaissons tout de suite ce genre d’images, et elles nous paraissent attrayantes…
Mais ressemblent-elles, ne serait-ce que de loin, au travail effectué en criminologie ?

Balance de la justice et un marteau de juge

La criminologie est intimement associée à d’autres disciplines,
comme le droit, la psychologie ou la sociologie.

Des enjeux pluridisciplinaires

La vision française de la criminologie est aujourd’hui encore assez réductrice, en ne proposant qu’un « puzzle » de concepts d’autres disciplines, principalement juridiques, psychologiques, et sociologiques.

Or, si la criminologie va plus loin que ça et dispose de ses propres théories, connaissances, modèles scientifiques, méthodes et outils d’enquête, et capacités d’intervention, il est vrai qu’elle se nourrit naturellement des autres disciplines, et a intérêt à s’allier à elles : le crime est un phénomène complexe, qui touche au fonctionnement humain. Ce dernier est nécessairement multifactoriel, et il est normal de devoir y réfléchir selon différents angles pour pouvoir mieux le comprendre.

Nous avons ainsi déjà pu citer les domaines les plus proches comme le droit, la médecine, la psychologie, la sociologie, les sciences de l’éducation, mais il y a aussi la biologie, la physique, la chimie, l’histoire, l’économie, les sciences politiques, l’urbanisme, l’informatique…
Pour chaque type d’infraction, pour chaque méthode d’enquête ou d’analyse et pour chaque intervention, le concours d’autres spécialités et d’autres professionnels apportera quelque chose de constructif et de complémentaire pour remplir son objectif.

C’est à mon sens un des éléments majeurs qui font l’intérêt de cette discipline : elle a pour objet des comportements humains, et nécessite tous les moyens de connaissances et de compétences humains pour les comprendre et les interrompre, ainsi qu’un travail d’équipe. Elle ramène par nature de l’humanité, sur un phénomène qui nous semble si incompréhensible et monstrueux qu’on le qualifie très facilement « d’inhumain ».
Si vous vous intéressez à la criminologie, outre une voie fantôme menant au métier de « profiler » , et les métiers d’enquête bien connus de la police et de la justice, vous avez la possibilité de mettre à profit votre propre spécialité et votre propre domaine de connaissances, pour proposer aux autres un travail d’équipe complémentaire et fort enrichissant.

Dans ce premier article sur le thème de la criminologie, nous avons essayé de déconstruire les principaux stéréotypes se référant à cette discipline, afin de mieux définir son objet, son fonctionnement et ses enjeux. Il reste beaucoup à dire…

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